De la fourchette à la fourche, pour quoi j’ai transitionné
En 2012, j’étais rédactrice en chef d’une r***e scientifique, place de la République. En 2018, j’ai lancé mon activité paysanne, une production de plantes aromatiques et à tisanes certifiées en agriculture biologique. L’objectif : participer à la reconstruction de la filière avec un projet à échelle humaine et en commercialisation uniquement locale, tout en conservant une double activité de rédactrice scientifique. J’ai eu envie de partager avec vous mon expérience, le parcours qui m’a amenée du point A au point B.
Ma prise de conscience de la nécessité de produire et de consommer mieux, comme celle de la plupart d’entre nous, a été un processus graduel, diffus. Mais je peux y identifier trois éléments majeurs, fondateurs.
Le 1er, c’était le 4 avril 2009, je faisais la cuisine pour un grand nombre de personnes, et j’étais plongée jusqu’aux coudes dans le blanc de poulet cru. Vous savez comme c’est le poulet cru, c’est froid, gluant… c’est un peu dégoutant. Mais quelque chose sonnait faux dans cette sensation. J’étais donc là, plongée dans la viande d’animaux qui avaient été élevés, tués, transformés loin de mes yeux pour que je n’ai plus qu’à prendre leurs blancs soigneusement nettoyés et conditionnés en barquettes plastiques, et je trouvais le moyen d’être dégoutée.
Ça a été un électrochoc : j’étais complètement hors sol. Je n’avais quasi pas la moindre idée de comment était produite la nourriture que je consommais, d’à quoi ressemblaient les plantes qui produisent la plupart des légumes. Pire, les informations que j’avais me mettaient suffisamment mal à l’aise pour que j’essaye d’éviter d’y penser. Et ce n’était pas que moi, c’était la société, dans son ensemble, qui était tellement déconnectée des réalités agricoles qu’elle n’avait plus aucun regard dessus, aucune conscience de l’impact écologique des pratiques qu’elle favorisait, une vision fantasmée et déformée des choses.
Il fallait que ça change, que je change.
J’ai donc commencé par consommer différemment, bio, de saison, moins de viande, plus de petits producteurs. Mais ça ne me suffisait pas. A 28 ans, j’ai profité d’une situation professionnelle intenable pour tout plaquer et partir faire du wwoofing (volontariat en fermes bio) en Australie, avec la ferme intention d’apprendre tout ce qu’il me fallait pour devenir autosuffisante, et de me trouver un coin où vivre tranquille, à l’écart du monde.
C’est à ce moment-là que s’est produit le deuxième évènement majeur de mon parcours : j’étais sur les traces de la permaculture australienne, et j’ai rencontré à Brisbane un groupe d’amis qui, à leur façon, font tous changer le monde autour d’eux. L’un donne des cours d’introduction à la permaculture, un autre travaille à développer la mobilité douce, ou encore au potager municipal. A leur contact, je me suis dit que mon rêve d’autarcie n’était pas seulement utopique, mais surtout très égoïste. Il fallait que je vois plus loin! Que je ne tente pas simplement d’essayer de me sauver moi-même, mais de changer les choses à plus grande échelle.
C’est là que le troisième élément déclencheur a pris tout son sens. Un ami de ma famille, lobbyiste à Bruxelles pour des associations écologistes, a décidé qu’il serait plus efficace en produisant des légumes qu’en se déguisant en abeille pour essayer d’aller sensibiliser les députés européens aux dégâts des pesticides. Il a donc raccroché le costume, et s’est installé comme paysan en Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) tout près d’ici, en Sud Essonne. Avec sa compagne, ils produisent 95 parts de récoltes, que se partagent une grosse centaine de familles. Surtout, il fait « pays », il tisse du lien, de la solidarité, de la prise de conscience sociale et écologique. C’est à eux que je dois ma première expérience agricole, et bon nombre de mes valeurs paysannes.
C’est ça qui m’a donné envie de rentrer en France, de revenir là où j’ai grandi, et de m’y installer. En parallèle de mes voyages et de mon travail de journaliste indépendante, je me suis frottée à la réalité physique du métier, de la boue de mars aux canicules de l’été. Je me suis formée, j’ai passé un diplôme d’état, le Brevet de responsable d’exploitation agricole, à Montmorot, dans le Jura. J’ai travaillé comme saisonnière au Conservatoire des Plantes Aromatiques et Médicinales de Milly la Forêt. J’ai tissé un réseau, des liens avec les associations qui aident les porteurs de projet à s’installer...
Et à l’été 2018, soutenue par la municipalité, j’ai signé un bail de 9 ans sur une parcelle agricole privée de Gometz-le-Châtel. 2ha7 de foret et de pâture en friche, à entretenir comme pôle de biodiversité et à aménager pour y produire, dans le respect de l’homme et de la nature, des produits qui auront vocation à être commercialisés uniquement en local, via le réseau des amaps ou avec très peu d’intermédiaires.
En parallèle, je participe à l’organisation de séminaires sur l’agroécologie et la fertilité des sols, qui s’adressent en premier lieu aux professionnels du milieu agricole, de l’environnement et de l’écologie, avec l’ambition claire d’aller de la recherche à l’application, et de nourrir la réflexion des participants sur leurs propres pratiques.
Voilà pour quoi moi j’ai transitionné, pour faire changer les choses à mon échelle, et polliniser progressivement les consciences autour de moi.