À son retour d’Allemagne en 1945, Marc Réveillac, alors âgé de 23 ans, reprend la ferme familiale en polyculture-élevage avec : 50 brebis, 3 vaches (pour le lait, le veau et
surtout la traction), des truies et porcelets, une basse-cour et 20 ruches, avec une surface agricole utile de 41 hectares. Il cultive alors des céréales telles que le blé pour le pain, l’orge, l’avoine, le maïs, des pommes de terre, des betteraves, quelques prairies et un peu de tabac (0,5 hectare).
L’été 1951, Marc épouse Suzanne Castex. Ils travailleront ensemble désormais. L’année 1955voit l’achat du premier tracteur (15 CV), acheté en copropriété avec le frère de Marc : Albert. C’est également cette année-là que Pierre voit le jour, troisième garçon de la famille après Jean-François et Yves. Il sera suivi de deux sœurs : Marie et Christine.
Entre 1955 et 1960, les prairies artificielles (luzerne, sainfoin) se développent. Les rendements sont améliorés par l’utilisation des engrais. Les cultures de blé, de tabac et de betteraves sont donc abandonnées. Plusieurs achats sont effectués en copropriété avec Albert : tracteur 25 CV, charrue à disque, botteleuse. Ensemble, ils s’entraident notamment pour la récolte des foins et de la paille. Les moissons se font désormais avec une moissonneuse-batteuse.
En 1965, certaines terres ont été débroussaillées et remises en culture (Retayresque, le Cassagnol, le Combel). En 1968, Marc reprend la ferme d’un voisin et augmente sa surface agricole, qui passe à 60 hectares.
Pendant les années 60, un CETA (Centre d’Étude de Techniques Agricoles) a été créé pour développer l’élevage ovin. Marc et plusieurs autres agriculteurs se sont regroupés autour d’un technicien pour faire évoluer leur production : c’est le début de la spécialisation en production ovine. Il vend alors sa dernière vache et sa dernière truie.
Avec l’augmentation du cheptel à plus de 100 brebis, il construit un nouveau bâtiment de 400 m² pour loger les animaux et stocker les fourrages.
En 1970 est créé la CUMA cantonale de Livernon (Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole). La ferme de Latapoune y adhère, ce qui va permettre à Marc de bénéficier d’un matériel plus gros et plus performant (cover-crop, tracteur 100 CV), et ainsi de gagner du temps et d’améliorer sa production. Il décide d’augmenter et d’intensifier le troupeau en passant à 3 agnelages par brebis en 2 ans. Il effectue aussi des croisements industriels. Côté cultures, l’utilisation des engrais permet désormais un rendement en céréales de 30 quintaux/ha. Marc investit par la suite dans l’achat d’une pompe à sulfater pour désherber les céréales.
La même année, Pierre rentre au lycée agricole La Roque à Rodez.
En 1971, Marc agrandit son parcellaire avec l’achat du Mas de Tourel, d’une superficie de 4,5 hectares et met ces terres en culture immédiatement.
Entre 1974 et 1975, la vente de bois de chauffage débute. Plusieurs investissements ont lieu, avec notamment l’achat d’un tracteur de 48 CV et d’un broyeur-mélangeur, en copropriété avec 5 autres agriculteurs. Il a permis la mise en place d’une alimentation complète en libre-service de foin, paille et concentrés broyés. Ce système restera en place jusqu’en 1988, où il sera abandonné à la suite de l’achat d’un round-baller en CUMA, dont les balles produites étaient incompatibles avec le broyeur. L’effectif du troupeau augmente peu à peu jusqu’à 200 brebis.
En juillet 1974, Pierre termine ses études (Bac D’) et devient aide familial l’automne suivant. En mai 1975, il effectue une formation à Rambouillet puis revient sur la ferme toujours en aide familial.
En même temps, une culture de tabac Nicker de 0,5 hectare est mise en place. Elle sera trèsvite abandonnée (1977) car trop gourmande en main d’œuvre et peu rentable. Dans la même période, la crise pétrolière fait son apparition avec l’augmentation des prix du gasoil et des engrais. 1976 est une année de sécheresse. Heureusement, les agriculteurs ont pu bénéficier d’un « prêt sécheresse » avec lequel Marc a investi dans une presse moyenne densité et un plateau fourrager. En 1978, un appentis est construit pour loger les brebis.
De mai 1978 à mai 1980, Pierre part durant 2 ans en service civil en Bretagne. Il travaille au service d’une mutuelle agricole, qui propose des remplacements dans les fermes pour cause de maladie, accident ou grossesse. Il découvre alors le milieu de l’élevage de vaches laitières, et l’élevage hors sol de porcs et de volailles.
Pierre revient à Latapoune de juin 1980 à novembre 1982, toujours en tant qu’aide familial.Son père est alors en difficultés économiques. La crise ovine avait commencé quelques années plus tôt, sur une ferme déjà fragile. Il lance alors une procédure « Agriculteur en difficulté ».
Entre temps, en 1981, une nouvelle CUMA communale « La pierre Martine » est créée, regroupant 12 agriculteurs localement proches. Elle permet de mettre à la disposition des adhérents du matériel utilisé très souvent, plus proche et plus facilement disponible : une faucheuse conditionneuse, un épandeur à fumier, un semoir en ligne, un épandeur d’engrais, une remorque et une charrue à socs. La même année, la création de l’organisation de producteur GÉOC (Groupement des Éleveurs Ovins Caussenards), permettra de vendre les agneaux plus facilement et d’avoir un appui technique. La procédure « Agriculteur en difficulté » est accordée et un prêt à 11 % est établi pour couvrir les investissements et compenser le cours de l’agneau, qui à cette époque fléchit.
Le 1 er novembre 1982, c’est l’installation de Pierre en tant que Jeune Agriculteur (JA) et le départ de son père, alors âgé de 60 ans, à la retraite. Malheureusement, Pierre devra utiliser son aide JA (Jeune Agriculteur) et ses prêts aidés JA pour éponger le prêt « Agriculteur en difficulté ». Mais les difficultés attendent encore Pierre, avec la crise ovine et la chute des cours de la viande et de la laine qui continuent. Le troupeau compte alors 200 brebis en agnelage accéléré (3 agnelages en 2 ans).
Pierre arrête le croisement industriel et se penche plutôt sur la vente d’agnelles de reproduction en devenant adhérent à l’UPRA (Unité de sélection et de Promotion de la Race).
Entre 1985 et 1990, il tente de diversifier l’exploitation de façon collective avec d’autres agriculteurs en culture de plantes médicinales et à parfum (thym, sarriette, fenugrec, tabac à fleurs et transformation de genévrier en essence). Ils créent alors une nouvelle CUMA, « La Santoline », pour le matériel spécifique à la culture de ces plantes. Mais au bout de 3 ans, la coopérative VAMP (Végétaux Arômes Midi-Pyrénées) — créée spécialement pour cette production hors du commun par les producteurs du Gers et de l’Aveyron — fait faillite : le projet s’arrête là.
En 1990, Pierre devient président du GÉOC (Groupement des Éleveurs Ovins Caussenards) et atteint l’effectif de 300 brebis en ralentissant la production du troupeau à 4 agnelages en 3 ans. Il abandonne les cultures de céréales pour augmenter les quantités de fourrage.
En 1997, il se rend compte que la profession prend un chemin productiviste qui va à l’encontre de son éthique. Les difficultés financières sont toujours là et après un diagnostic, le technicien du GÉOC lui conseille d’augmenter sa production en agrandissant considérablement le troupeau à plus de 400 brebis, et en augmentant sa productivité et sa rentabilité.
C’est alors que Pierre fait un choix important, qui va changer l’orientation de la ferme de Latapoune jusqu’à aujourd’hui.
En novembre 1997, prenant le contre-pied de la politique agricole de l’époque, il débute donc sa conversion en agriculture biologique, par conviction et pour échapper à cette fuite en avant de l’intensification et du productivisme. Il réduit son troupeau progressivement à 200 brebis tout en ralentissant leur rythme de reproduction, passant à un seul agnelage par brebis et par an.
Il convertit son troupeau pour n’élever finalement que la race pure des Causses du Lot ou Caussenardes, la fameuse brebis à lunette.
En 1998, l’association La Caussenarde est créée dans le but de valoriser la laine devenue un déchet. Un long travail commence avec des éleveurs entourés de bénévoles non agricoles, mais tous passionnés par la laine.
Dans le début des années 2000, Pierre se forme sur la partie santé du troupeau (pratique de l’homéopathie, principalement) et vend ses premiers agneaux en agriculture biologique. L’arrivée de la « tremblante du mouton » crée des divergences concernant la lutte génétique de la maladie. Il décide alors de quitter l’UPRA, à laquelle il était pourtant encore attaché.
À partir de 2003, Pierre commence à vendre une petite partie de ses agneaux par le biais de la vente directe.
Entre 2005 et 2010, la ferme où travaillait le frère de Pierre, Jean-François, est rachetée par « Terres de Liens » et transmise à de jeunes agriculteurs.
Pierre réalise, lors de cet événement, qu’il va falloir préparer la transmission de sa ferme familiale, peut-être à quelqu’un qui ne sera pas de la famille. Il accueille alors des stagiaires sur des périodes plus ou moins longues, dans l’espoir de trouver un repreneur.
Entre temps, Pierre tente une nouvelle fois une diversification avec une culture de chanvre.
Malgré une bonne récolte, il abandonne à cause du manque de débouchés pour la vente de la paille (la chènevotte, qui sert à faire des isolants) et des problèmes mécaniques rencontrés sur la moissonneuse-batteuse qui n’était pas adaptée. Petit à petit, il glisse progressivement vers la vente directe de la viande en colis.
En 2010, Lucie, la nièce de Pierre, fille de son frère Jean-François, décide de reprendre la ferme avec son mari Sébastien. Celui-ci doit opérer une reconversion professionnelle, et après une formation agricole, il s’installe avec Pierre en 2013, créant un GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun). Par obligation administrative, il apporte des terres supplémentaires : 49 ha s’ajoutent à la superficie de la ferme, qui passe ainsi la barre des 200 ha en tout. Pierre et Sébastien passent alors en 100 % vente directe de leurs agneaux, mais aussi des brebis de réforme transformées en chipolatas et en merguez.
Sans investissement important depuis les années 70, la ferme était alors vieillissante. Un plan de rénovation est donc prévu à l’occasion de l’entrée de Sébastien. En 2015, une bergerie est construite dans ce cadre, améliorant nettement les conditions de travail et la vie du troupeau. L’aménagement d’un atelier agricole, ainsi que l’amélioration et la sécurisation du bâtiment de stockage du fourrage, et la création d’un nouveau grenier à grain sont aussi des investissements qui ont grandement amélioré le quotidien de Pierre et Sébastien. En parallèle, ils essaient d’améliorer leur façon de travailler les sols en utilisant des techniques de travail simplifiées, avec le semis direct.
En 2018, une réflexion commence sur l’entrée de Lucie dans le GAEC pour prendre la place de Pierre, qui prendra sa retraite en 2019. Lucie veut apporter une diversification supplémentaire à la ferme avec la création d’un atelier caprin couplé à la transformation fromagère.
Le 1 er octobre 2019, Pierre prend sa retraite pour être remplacé comme prévu par sa nièce, Lucie, qui sera reconnue officiellement agricultrice le 1 er janvier 2020, après un long parcours administratif.
Commence alors un grand défi : celui de créer les deux ateliers prévus dans son installation (l’élevage de 25 chèvres et la transformation de leur lait en fromage). Pour cela, 3 ans de travaux sont programmés pour mettre en place progressivement les outils nécessaires avec la construction de la fromagerie, l’amélioration de la petite chèvrerie faite en 2019, et l’aménagement d’un magasin à la ferme pour mieux accueillir. En parallèle, il est prévu de continuer le développement de la vente directe pour vendre les nouveaux fromages avec notamment l’accès à de nouveaux marchés de producteurs.
D’importantes améliorations sont aussi en cours avec la rénovation des clôtures et la division de certaines parcelles trop grandes pour permettre une rotation plus facile et éviter les problèmes de parasitisme récurent en agriculture biologique.
En résumé, la ferme de Latapoune a été en constante évolution depuis 1945, mais le plus important a été le revirement décidé par Pierre en 1997, pour revenir à une ferme à taille humaine.
Pierre a apporté plus une amélioration humaine qu’une amélioration technique.La vente directe, développée particulièrement avec l’arrivée de Sébastien, a permis de tirer deux revenus avec seulement 200 brebis, améliorant ainsi la rentabilité économique et montrant que les petites fermes ont leur place et peuvent être viables.
Aujourd’hui, Lucie et Sébastien veulent continuer ce chemin que Pierre a pris en adaptant la taille des troupeaux à la capacité des 200 ha de terres de causse, qui produisent peu. Ainsi, ils espèrent tendre vers l’autonomie alimentaire, indispensable en agriculture biologique, et conserver une ferme à taille humaine ouverte vers l’extérieur, à travers la vente directe et l’accueil à la ferme.